UN AUTRE REGARD SUR NOS TRADITIONS ANCESTRALES: PARTIE X.
L’ordre du rite et la refondation du vivre-ensemble et de l'Etat au Burkina Faso.
En conclusion de la série d’articles sur le thème «Un autre regard sur nos traditions ancestrales » et sous l’éclairage de l’ouvrage de Danouta Liberski-Bagnoud « La Souveraineté de la Terre », je voudrais en souligner le caractère opératoire et tout particulièrement, face à la situation tragique que traverse notre pays. Sans nul doute, la réflexion de l’auteur sur la Souveraineté de la Terre nous introduit au fond théorique de l’Ordre du rite, la «Boîte noire» de la dynamique anthropologique et sociale pour ainsi dire, qui fait que nos sociétés villageoises contemporaines sont telles qu’elles sont et non pas telles que l’on voudrait qu’elles soient. Comme je l’ai souvent indiqué, il nous faut faire intellectuellement et humblement attention à elles dans l’optique de la Refondation.
Mais avant, il me faut rappeler, en empruntant les propos de l’auteur, la substance de ce qu’est l’Ordre du rite :
«Avant l'instauration de l'État moderne et l'introduction d'un ordre juridique inspiré des institutions occidentales, les peuples voltaïques, à l'image du reste de l'Afrique subsaharienne, étaient des sujets du rite. A la différence de ceux qui ont fait irruption sur leurs territoires pour les coloniser, leurs rapports sociaux, comme leur relation au monde, étaient régis, non par des lois, mais par l'ordre du rite. Encore de nos jours, que ce soit à la ville ou dans les villages, ce mode spécifique de l'agir qu'est l'agir rituel n'a pas disparu, et il ne se laisse pas enclore dans la sphère des « croyances et représentations religieuses ».
Les configurations de pensée qu'il met en œuvre transcendent nos clivages entre le politique, le social, l'économique. Les conversions aux religions importées, si labiles en terre africaine, la compatibilité plus ou moins ouvertement assumée entre la nouvelle foi et les impératifs rituels de la « coutume », le fait qu'en nul endroit il n'ait été jugé utile de nommer ces systèmes rituels autrement que par la locution «suivre le chemin de Ceux d'avant» devraient déjà nous alerter qu'il s'agit de bien autre chose que d'une « religion traditionnelle». Toujours en rapport avec des interdits fondateurs, le rituel est coextensif à tous les domaines de la vie collective et individuelle.
Il n'est pas d'institutions, de rapports sociaux, de représentations chez ces peuples qui ne soient structurés par des rites, qui n'y trouvent leur légitimité. Le rite est partout le maître des cérémonies : de l'organisation de la parenté et de l'alliance au gouvernement des hommes, de l'appropriation d'un territoire aux modes de l'habiter, de la culture des champs à la construction des maisons, des arts et des techniques aux formes de l'échange économique, sans parler des conceptions de la naissance, de la sexualité et de la mort.»
Ainsi, je retiens que c’est l’ordre du rite qui étaye ce que je n’ai cessé de souligner comme étant la plus grande réalisation civilisationnelle de nos sociétés villageoises à notre époque à savoir : le façonnage de nos sociétés villageoises actuelles dont l’originalité politique, institutionnelle et spirituelle peut être ainsi résumée : nos sociétés villageoises contemporaines sont multinationales et non sécularisées : ethnies, lignages, clans, tribus, croyances et religions y coexistent et organisent leur vivre-ensemble sur la base de leurs propres règles et institutions, à l’écart du système politique et institutionnel officiels ; on y naît, on y vit, on y quitte le monde de manière endogène pour tout dire, en dépit des emprunts et d’un certain syncrétisme religieux. Les conflits n’y manquent pas et avec souvent aussi, leurs morts d’hommes ; mais on peut noter aussi des modalités pour leur gestion et règlement.
La série d’articles présentant des extraits de l’ouvrage de Danouta Liberski-Bagnoud nous donne à voir et à saisir, les modalités de l’agir rituel qui sont au fondement d’une telle réalisation civilisationnelle; ils nous donnent à comprendre ce sur quoi ces sociétés se sont élevées, comment ces sociétés se construisent et se renouvellent en permanence grâce à l’agir rituel. Elles disposent pour ce faire de ressources symboliques et rituelles qui articulent leurs systèmes de pensée propres; leur vision du monde comme on dit.
En considérant la crise sécuritaire, un constat aveuglant - et cependant nié inconsciemment, s’impose:
C’est l’élite urbaine qui a toujours conduit l’action politique dans notre pays; c’est elle qui hier, a hérité de l’Etat colonial qu’elle tente de faire fonctionner pour son propre compte; c’est elle aujourd’hui qui, anime au travers de l’Etat, la vie politique, économique et culturelle moderne et in fine, qui anime la recherche des voies et moyens de sortie de la crise sécuritaire. En cela, il n’y a pas de doute, nous sommes à la peine. Autant en régime civil qu’en régime militaire.
Autrement dit, les ressources habituelles de l’Etat-Nation post-colonial - l’appareil de l’Etat, la Nation, la République, le Suffrage dans ses différentes modalités, la Souveraineté, la Coopération bilatérale et multilatérale entre États, la Globalisation et la Mondialisation -, se sont avérées inadaptées à construire un corps de société apaisée dans l’ensemble territorial façonné par la colonisation.
Cette impasse que souligne de manière tragique la crise sécuritaire que vit le pays, invite donc à questionner l’existence d’autres ressources de l’action politique à même de porter l’enjeu impératif d’un retour à la paix dans notre pays. C’est à dire, en ce qui nous concerne, faire en commun, un Territoire-patrie, comme corps d’une société Burkinabè pacifiée et apaisée.
Devant une telle tâche plus qu’urgente et existentielle, que peuvent bien nos sociétés villageoises contemporaines ?
La question est précisément de savoir comment les ressources symboliques, rituelles et matérielles de nos sociétés villageoises contemporaines - leurs ressources dogmatiques comme les qualifie Danouta Liberski-Bagnoud - peuvent être réactivées, réarmées et mobilisées pour sortir de la guerre et reconstruire le tissu social fortement entamé par ces années de guerre avec toutes les atrocités endurées et leurs traumatismes qui resteront assurément vivaces pour un long temps .
Il nous faut à cet égard faire quelques constats qui sont essentiels dans la recherche des voies et moyens de sortie de la crise sécuritaire :
Premièrement : nos sociétés villageoises contemporaines sont la donne immensément majoritaire de notre population ; elles articulent une vision du monde spécifique avec ses Modèles d’organisation du Politique, de l’Economie, de l’Education, de la Solidarité, de l’Accueil, de l’Hospitalité et de la Gestion des conflits. Ce sont ces valeurs qui sont communément désignées comme nos traditions et coutumes ancestrales.
Deuxièmement : la majorité des populations Burkinabè vivant dans les villages et ceux des leurs qui vivent en ville continuent à observer très largement ces traditions et coutumes à l’occasion de l’essentiel de leur vie culturelle, institutionnelle, sociale et économique.
Troisièmement : le gros des troupes combattantes djihadistes est issu du milieu rural, y vit, ne pratique pas le français et participe peu ou pas à notre système institutionnel officiel. Très largement ces combattant se reconnaissent dans nos traditions ancestrales.
Quatrièmement : les différents terroirs villageois et leurs problématiques spécifiques sont une des dimensions de la stratégie et de la tactique de la guerre asymétrique pratiquée par les groupes armées djihadistes en particulier l’organisation très largement décentralisée des unités combattantes djihadistes.
Cinquièmement : incontestablement ce sont nos sociétés villageoises qui payent le plus lourd tribut à la guerre et ont tout à perdre d’un enlisement dans la guerre ; tout aussi incontestablement, ce sont elles qui ont le plus à gagner d’une paix durable, d’une refondation de notre vivre-ensemble et de l’Etat qui ne contraignent plus leur dynamique anthropologique et social, c’est dire leur historicité.
C’est au regard de ces considérations qu’il convient de reconnaître à nos sociétés villageoises contemporaines, un rôle central dans la construction d’une stratégie politique viable et crédible pour sortir de la guerre, gagner une paix durable et engager la Refondation.
Qu’est-ce-à dire?
Tout d’abord, il faut qu’une masse critique de l'élite intellectuelle, culturelle, économique, traditionnelle, religieuse, puisse concevoir l'action politique autrement que par les modalités du Politique et de la politique introduites par la colonisation; et depuis, accommodées et imposées par nos élites gouvernantes à nos sociétés villageoises contemporaines ; ainsi, nos sociétés villageoises n'ont jamais eu voix au chapitre dans la construction sur le ressort de l’ensemble territorial national du Burkina, de la cohésion sociale, la sève même du vivre-ensemble, d'un pouvoir et d'une autorité apaisées. Ainsi, la vie de l’Etat et de la Nation, ses modalités opérationnelles au travers de l’Administration, des politiques publiques, de l’espace public, de la vie et de la représentation politique, sont les témoins éloquents de cette mise à l’écart et de cette mise hors-la-loi ainsi que de l’instrumentalisation et folklorisation constantes de nos sociétés villageoises contemporaines au nom de la modernité occidentale.
Ainsi, entre la formule « nul n’est censé ignorer la loi » le credo moderniste qui structure l’ordre post-colonial, et celle « nul n’est censé ignorer la coutume » le credo de l’Ordre du rite de nos sociétés villageoises, laquelle serait aujourd’hui, la plus audible, la plus réaliste et la plus viable pour entraîner l’immense majorité des Burkinabè dans la construction d’un corps de société apaisée dans l’ensemble territorial du Burkina?
Assurément, il s’avère qu’il soit structurellement impossible de mettre nos sociétés villageoises en minorité démographique, économique, culturelle, sociale et institutionnelle comme le postule l’approche développementaliste dont beaucoup d’entre nous rêvons; et qu’il soit tout aussi impossible de faire œuvre utile sans elles, contre elles et à leur place. Ce fut en Afrique le projet de la mission civilisatrice portée par la Colonisation et aujourd’hui par l’Etat-Nation post-colonial.
A l’évidence, malgré les coups de butoir puissants - sur une période de plus d’un siècle et demi au moins -, de la civilisation occidentale et des religions du livre que sont l’islam et le christianisme, nos sociétés villageoises disposent encore aujourd’hui de ressorts civilisationnels pertinents et significatifs qui doivent et peuvent être mis en avant dans la construction d’une stratégie pour défaire idéologiquement, politiquement et militairement l’insurrection armée djihadiste dans notre pays.
Dans cette perspective, notre stratégie pour sortir de la guerre, rechercher une paix durable et engager la refondation du vivre-ensemble et de l’Etat se doit d’être véritablement populaire; c’est-à-dire, d’être solidement ancrée dans nos traditions ancestrales, c’est-à-dire dans l’Ordre du rite auquel adhère l’immense majorité de notre population.
Il nous faut ainsi porter une attention toute particulière à la capacité opératoire de l’Ordre du rite en rapport à notre recherche de solutions à la crise sécuritaire. Une crise du vivre-ensemble, une rupture de la cohésion nationale et sociale, qui, quand au fond, tirent leur fondement dans la crise de l’Ordre moderniste porté par l’Etat-Nation post-colonial qui a disqualifié l’ordre du rite - la Souveraineté de la Terre pour rependre la perspective indiquée par Danouta Liberski-Bagnoud et qui a, de ce fait, articulé la crise du foncier en milieu rural, et tout particulièrement la crise du pastoralisme qui en est la première manifestation paroxystique.
A cet égard, je voudrais souligner à nouveau la problématique fondamentale de la crise sécuritaire.
Il nous faut prendre profondément conscience que depuis l’indépendance, la dynamique migratoire interne portée par les agriculteurs sédentaires (principalement de la communauté mossi) et éleveurs (principalement de la communauté peulh) à la recherche d’espaces de survie par suite de contraintes diverses, a conduit à une réorganisation profonde du peuplement. Cette réorganisation a conduit dans nombre de zones à l’Ouest et à l’Est notamment à une modification profonde des rapports de force démographique, sociale, économique, politique et culturelle entre autochtones et migrants allochtones; une telle modification, est, aujourd’hui, source de conflits autour de la disponibilité de la terre et de frustrations identitaires. Ces conflits et frustrations sont instrumentalisés de diverses manières et par diverses parties dont les groupes armés djihadistes.
Aussi, redonner droit à la Terre et sa Souveraineté c’est-à-dire à l’Ordre du rite devrait nous ouvrir des perspective plus prometteuses pour construire une Terre-partie, un corps de société Burkinabè apaisée.
Il nous faut dans cette perspective considérer les caractéristiques essentielles de la crise du foncier en milieu rural dans notre pays.
Dans leur dynamique anthropologique et sociale, pour les pasteurs du Burkina principalement constitués par les communautés peulh et touareg, l’accès aux ressources agropastorales est un facteur fondamental du système d’élevage et donc de viabilité de l’exploitation familiale. Le partage et la gestion de ces ressources avec les communautés d’agriculteurs sédentaires ont toujours nécessité une régulation dont les termes ont été pacifiques ou violents dans la période pré-coloniale.
De même, en ce qui concerne les communautés d’agriculteurs sédentaires, les besoins de bétail liés aux rituels sacrificiels, à la fumure des champs, à l’accumulation et consommations ostentatoires de richesses par les aristocraties et autres élites, ont rendu nécessaire une certaine proximité avec les communautés de pasteurs reconnues comme des professionnels de l’élevage.
L’insertion des communautés peulh dans le Moogo, dans des sociétés villageoises Bobo, Bwa, Sénoufo a bien souvent été organisée de manière pacifique en favorisant l’immigration de lignages peulh ou/et de manière violente par la mise en captivité (Bangarencé des Rois du Moogo).
Ainsi, avant la conquête coloniale et la colonisation, alors que les relations étaient tendues avec la communauté Samo dans le souroudougou avec l’Empire du Macina sous domination toucouleur, elles étaient dans l’ensemble stabilisées et pacifiques avec les chefferies peulh de Barani et de Dokui et bien naturellement dans les terroirs d’insertion en pays bobo, bwa, sénoufo, komono, dogossié et dans le Moogo. Dans ces derniers cas, ces relations ont même donné lieu à la mise en place de systèmes d’alliances politiques (allégeances et protection), coutumières (parenté à plaisanteries) et rituelles (rôle dans certaines intronisations de rois et chefs), et voire matrimoniales bien plus rares; ces alliances diverses ont été bien souvent convoquées dans la gestion des conflits qui ne manquent pas entre agriculteurs et éleveurs.
La colonisation dans la Boucle de la Volta, va accentuer les tensions passées avec la communauté samo et dégrader les relations avec la communauté bwa, avec la participation des chefs de Barani et de Dokui et l’Empire du Macina sous domination toucouleur à la conquête, la pacification et la colonisation aux côtes de la puissance coloniale.
Les exactions passées d’aristocraties peulh dans les périodes précoloniale et coloniale ( mise en esclavage, paiement de tributs, appui militaire aux missions coloniales de conquête, administration décriée de cantons et "états" crées sous la colonisation) ont alimenté naturellement un certain imaginaire collectif négatif à l’égard de la communauté peulh, dans nombre de communautés plus anciennement installées sur le territoire de l’actuel Burkina Faso. Le contrecoup fut globalement une insertion difficile de la communauté peulh dans l’Etat-Nation post-colonial.
Avec l’indépendance, s’ouvre une nouvelle dynamique pastorale.
Alors qu’à l’époque précoloniale, les communautés de pasteurs disposaient de marges de manœuvres symboliques, politiques et sociales endogènes pour poursuivre leur dynamique anthropologique et sociale dans les territoires dits des peuples voltaïques, ces marges de manœuvres vont se réduire progressivement avec la colonisation avant de disparaître pour l’essentiel aujourd’hui, marquant ainsi, l’engagement de la communauté des pasteurs dans la crise du mode de vie pastorale, qui s’avère la plus grave à laquelle elles doivent faire face depuis le XVIIIe siècle dans leur dynamique anthropologique et sociale.
Cette nouvelle crise du pastoralisme prend racine pour l’essentiel dans les difficultés croissantes d’accès aux ressources agropastorales du fait de la dynamique démographique en milieu rural qui réduit les espaces de pâture et l’accès aux points d’eau ; des sécheresses des années 1970-80 au Sahel qui ont décimé le cheptel ; des politiques publiques foncière, agricole, d’élevage, minière, forestière, administrative de l’État post-colonial, prolongeant et approfondissant les menaces et obstacles pour les communautés agraires et pastorales - prédation foncière par les élites, expropriation pour cause d’utilité publique, émergence d’un marché foncier, intensification, sédentarisation - et battant en brèches les équilibres endogènes construits naguère.
Cette crise se traduit par une quasi-impossibilité de poursuivre le mode de vie pastorale et par des difficultés de diversification ou/et de reconversion professionnelle.
Dans le même temps, la diversification des exploitations familiales agricoles avec la pratique de l’élevage s’est mise en marche réduisant d’autant, l’accès aux ressources agropastorales. Elle s’accompagne d’une concentration du cheptel aux mains d’une petite élite paysanne sédentaire, commerçante, et pastorale qui emploient des membres de la communauté nomade paupérisés, comme bouviers, courtiers des marchés à bétail, Ruga -ces spécialistes de la transhumance.
Ainsi, se développe très massivement au sein des communautés de pasteurs, des exploitations familiales sans cheptel et sans terre. Leurs membres sont ainsi livrés à une vie errante en milieu rural, voués à l’exode en milieu urbain pour grossir les rangs des talibés de marabouts, les rangs des sans-emplois et du sous-prolétariat. L’engagement de bon nombre d’entre eux notamment des jeunes dans l’économie criminelle et illicite (vol de bétail, trafics en tout genre) et une vie dissolue (drogue, alcool, vol, prostitution, etc..) est une réalité.
A ce versant de la crise du pastoralisme, il faut ajouter celui liée à la crise de la structure sociale dans les anciens émirats et chefferies peulh ainsi que dans les terroirs de nomadisation et de suzerainetés touareg. Les aristocraties traditionnelles, les élites administratives, musulmanes et commerçantes y sont les propriétaires des ressources agropastorales et de gros cheptels, qui sont exploitées pour leur compte par des dépendants qui sont des communautés d’anciens captifs (Rimaïbè et Bellah) bien souvent en contrepartie d’un accès à la terre et au cheptel. Si cette hiérarchie sociale y compris la déconsidération sociale héréditaire qui l’accompagne, est intériorisée par l’ancienne génération, elle est fortement rejetée par la nouvelle génération dont certains des membres font partie de l’élite intellectuelle, politique et économique ; autant celle issue de l’école laïque que celle dite des arabisants formés dans les medersa et universités arabes dont certains rejettent ouvertement les élites musulmanes traditionnelles Soufie.
Au total, la crise du pastoralisme est une crise du mode de vie pastorale, une crise de la culture politique et de l’économie politique des élites traditionnelles dans le contexte de l’Etat-Nation post-colonial dont elle en alimente la dynamique de faillite au travers de l’embrasement du milieu rural que vit aujourd’hui le Burkina.
Bien plus, l’embrasement du milieu rural s’alimente à présent, progressivement et de manière significative, d’éléments d’une crise profonde du mode vie des paysans sédentaires - tout particulièrement dans les zones d'accueil de la migration - qui, après avoir accueilli et intégré des millions de migrants climatiques internes du plateau central Mossi et du Sahel depuis les sécheresses des années 70-80, sont à présent de plus en plus confrontés au problème de la terre.
La perspective de familles d’agriculteurs sans terre ou ayant insuffisamment de terre est en marche. C’est elle qui alimente de plus en plus des tensions entre autochtones ayant cédé à titre d’usufruit des terres, et migrants ayant reçu en usufruit des terres qui sont souvent réclamées par les propriétaires qui en ont besoin à présent pour leur propre survie.
La crise du pastoralisme n’est donc que la partie visible de l’iceberg de la guerre de la terre à venir en milieu rural et face à laquelle l’Etat-Nation post-colonial est impuissant si l’on considère les politiques foncières, minières et forestières d’essence néolibérale et tout particulièrement la loi 034-2009 relative au foncier rural, la loi 034-2012 relative à la réorganisation agraire et foncière, celles relatives aux Codes Forestier et Minier. En effet ces lois ont engagé une marchandisation des ressources naturelles afin de tourner la page à l’étatisation de la terre qui avait été actée sous le Conseil National de la Révolution (CNR).
A ce jeu d’argent que les paysans n’ont pas et que l’on appelle modernisation, une immense partie des agriculteurs et des éleveurs perdent progressivement leurs moyens traditionnels de subsistance alors que le DEVELOPPEMENT n’offre pas les emplois de survie ; littéralement nos sociétés pourrissent sur pied.
Ainsi, les approches de gestion foncière dites révolutionnaires ou modernistes néolibérales qui ont attaqué dans ses fondements le «droit foncier coutumier» - autrement dit la Souveraineté de la Terre - dans toute la diversité de ses expressions n’ont pas représenté une alternative viable au «droit coutumier» sur la terre. Il faut aussi noter que le «droit foncier coutumier» n’a pas encore lui eu l’opportunité pour engager les mutations indispensables compte des contraintes imposées par l’ordre moderniste.
Aussi, comme le postule le «mouvement deux millions de signatures en faveur du dialogue», nous pouvons mobiliser, réactualiser et réarmer les ressources de l’ordre du rite, - auquel restent attachée l’immense majorité de Burkinabè -, au travers de ses ressources symboliques et rituelles de l’Autorité et du Pouvoir et de construction d’un corps de sociétés villageoises apaisées en tant que modèle d’action politique innovant face à la problématique foncière tout particulièrement en milieu rural.
Une stratégie politique viable et crédible de sortie de la crise sécuritaire doit alors, s’articuler autour d’une mobilisation populaire et pacifique pour imposer un cessez-le-feu, l’ouverture et la mise en œuvre efficace dans nos différents terroirs villageois, d’un dialogue communautaire à la base avec les combattants djihadistes notamment ceux affiliés au JNIM.
En effet, ce sont là des conditions essentielles à même d’offrir un champ d’action à nos sociétés villageoises pour la mise en œuvre efficace des ressources de l’Ordre du rite - sa théorie de la Souveraineté de la Terre(1), dans la recherche d’une sortie de crise et de construction d’un corps de société Burkinabè pacifiée et apaisée.
Cette stratégie implique aussi la mobilisation d’une masse critique de l’élite pour accompagner la formulation de la philosophie politique de notre modernité portée par une telle théorie(2) et par des investigations relatives aux racines anthropologiques, sociales et politiques de la crise sécuritaire et tout particulièrement la responsabilité de l’Etat et de nos différentes communautés dans sa survenue.
L’émergence d’une telle élite, la mise en commun critique de ses investigations, leur mise en perspective et articulation avec les résultats du dialogue communautaire à la base ouvriront ainsi la voie au façonnage en commun d’un modèle d’action politique endogène et innovant de sortie de crise et de refondation, ancré dans l’Ordre du rite dans lequel se reconnaissent l’immense majorité de Burkinabè.
Telle est la perspective de rupture politique portée par la Pétition en ligne "Deux millions de signatures en faveur du dialogue" postée ICI
DIALLO Mamadou.
adidiam@yahoo.fr
74 50 18 59
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[1]Comme on le sait, la démarche rationaliste scientifique n’épuise pas la sous-détermination des théories par les faits; ainsi que la sous-détermination des comportements par les motivations (Henri Atlan, 2014). En Afrique subsahariennes les croyances collectives ne sont pas des professions de foi, elles sont au cœur même de l'institution imaginaire de la société (il ne s'agit donc pas de religions traditionnelles). L’Ordre du rite à travers la Souveraineté de la Terre comme nous le montre Danouta Liberski-Bagnoud, dans son ouvrage «Souveraineté de la Terre», est une élaboration métaphysique fine et complète qui structure tous les aspects de la vie dans nos sociétés villageoises contemporaines et cela depuis la nuit des temps avec une robustesse avérée et reconnue. Elle a donc la dignité d’une théorie qui accepte aussi le principe de la sous-détermination et donc l’ouverture sélective à d’autres apports jugés utiles et qui ne remettent pas en cause la Souveraineté de la Terre, le dogme métaphysique fondamental de l’Ordre du rite.
[2]Dans cette attente, je me jette à l’eau comme on dit, sans prétention aucune en espérant faire œuvre utile : Comme on le sait , l’interdiction de vendre la terre est une disposition fondamentale et généralisée de l’Ordre du rite; et comme nous l’a appris Danouta Liberski-Bagnoud, sa transgression, tout comme celle de sa délimitation et de sa contestation hors de l’action rituelle d’un gardien de la terre n’ont pas de réparation possible autre que d’être «avalé par la Terre». Sa traduction possible en philosophie politique pourrait être la consécration ferme et définitive du refus de la propriété privée de la terre et plus globalement des moyens de production. Comment l’organiser autrement que dans le modèle communiste de la dictature du prolétariat, d’un capitalisme d’Etat social-démocrate ou autre? Le modèle africain du commun de la terre qui permet à aux nouveaux lignages et aux migrants de «trouver une place pour s’asseoir» et « chercher leur souffle, leur vie », nous permet d'envisager la gestion en bien commun comme fil structurant d’une société Burkinabè délibérative, inclusive et participative dans tous les domaines y compris du pouvoir; donc, d’être comme on dit, au fondement d’un nouveau contrat social véritablement populaire, souverain et inédit. Les prémisses d’un tel contrat social sont à l’œuvre dans notre pays et dans différents domaines à commencer par le façonnage de nos différents villages comme je le rappelle souvent.
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